Notes personnelles
La Depression n’est pas un alibi.
La dépression étrangle avec ses mille tentacules de façon imprévue et avec des modalités toujours différentes. Parfois elle commence par une grande fatigue mentale, une irritabilité, une agression verbale, un coup de téléphone lancé au ton désagréable, ou avec des paranoïas infinies qui figent le cerveau.
Souvent le déprimé considère les autres coupable de son mal. La tête est envasée par le nul, elle est sans aucune structure ni pensées, vide de sens, pleine d’horreurs, même affronter la journée est un poids. Les pleurs sont longs et s’écoulent dans un abysse de douleur. Il est assailli par le catastrophisme et les tensions continues, période qui peut durer dans les cas graves jusqu’à trois-six mois.
Presque toujours, même durant la dépression la personne réussit à mener la vie habituelle mais avec un très grand effort.
Moi-même je suis maniaque dépressive. J’aime les tempêtes, les orages les tonnerres comme s’ils pouvaient se déchaîner à ma place. Le beau temps du genre (mer soleil et bateau à voile) redoublent mon malaise. Plus j’avance avec l’âge plus j’ai d’épisodes dépressifs. C’est comme si le mal se chronicisait.
Les sels de lithium, sont des stabilisateurs de l’humeur et m’ont certainement sauvée. C’est comme le diabète, les médicaments doivent être pris pendant toute la vie. Tout ceci est mon bagage, c’est ma vie, le prix à payer pour créer. La peinture est ma bouée de sauvetage. Sans elle le vide deviendrait le nul. Le manque de barrières entre le réel et l’irréel, comme si le rêve et la réalité étaient un tout qui caractérise ma peinture, elle aussi emprunte de cette folie. Depuis toute petite je me suis servie du dessin pour éviter une situation psychique intolérable. Je suis devenue une créatrice d’images non pour tourner les épaules aux autres mais pour propager un principe de sublimation. Il s’agit d’une dernière façon de survie.
J’ai créé un kaléidoscope pictural comme un enfant aurait créé un jouet et je ne me suis pas fait dérober mon enfance. J’ai par contre la capacité de situer mon travail dans la vie quotidienne, de réaliser des projets, d’organiser des expositions, tout cela si l’humeur du moment n’est pas invalidante bien sûr. Pour intégrer les sources profondes, irrationnelles avec des procédés logiques je dois faire un énorme effort. Les moments de dépression profonde ne sont pas du tout propices à la créativité. La dépression légère représente par contre la sédimentation de la douleur qui peut résulter propice à l’inspiration. Ce sont des périodes d’hypomanie et donc source d’inspiration et de création. Ma façon de considérer l’acte créateur, la substance même de mes tableaux, la façon dont ils prennent forme et se développent dans mes thèmes font penser à beaucoup d’artistes de l’Art Brut. J’ai l’impression d’être restée enfant, avec mes rages, mes douceurs alternées, avec mon hilarité suivie de pleurs spontanés. Voilà quelles sont les bribes de mon histoire.
Je suis née près de Lausanne où se trouve le musée de l’Art Brut, le plus fameux du genre dans le monde. Deux fois par ans je me rends dans cette maison accueillante et pleine de trésors où je me sens chez moi. En entrant dans ce musée il faut faire abstraction de la rationalité et de la volonté de comprendre, et d’expliquer et il faut laisser la liberté totale aux sens pour capter les ondes, Dans mon premier catalogue en 2002 j’ai écrit le texte suivant.
«Je suis née à Vevey en Suisse dans le canton de Vaud qui a sur son drapeau les mots de Patrie et Liberté, comme sur le dessin d’une fameuse artiste de l’Art Brut Aloise elle aussi Suisse. Dans ce pays j’ai appris à me soumettre à Patrie, Église, famille selon les schémas suisses, mais non à la Liberté. Elle était absente. Je l’ai découverte en moi-même, années plus tard, quand le cœur saignant et alors que je m’efforçais d’être forte, j’ai commencé à avoir la force d’être faible et donc plus authentique, plus vraie. J’ai fait abstraction de ma rationalité et j’ai commencé à porter les stigmates du désir et de la créativité. Sans vouloir me glorifier, j’ai commencé à peindre l’art vrai, le vrai art que l’on rêve comme l’amour. Je n’avais aucune notion artistique mais un grand besoin de m’exprimer. Quand je peins ma seule préoccupation est d’être en harmonie avec moi-même. Je n’ai fréquenté aucune école d’art: j’emploie mes émotions, mes mains. J’invente mes techniques. Ma peinture n’est pas un exercice technique hygiénique mais elle hurle au monde entier avec les viscères de son âme.
C’est comme chanter à gorge déployée en pleine rue. L’important ce ne sont pas les autres mais mon harmonie à moi, avec l’univers. Quand je peins je ne raisonne pas, je résonne. Les deux verbes se prononcent de la même manière en français.
Si quelqu’un me dit que j’ai fait des progrès je ne m’en réjouis pas parce que je ne peins pas pour m’appliquer mais pour chercher en moi le dieu caché. Seuls les enfants et les fous en sont capables. Ne me poser pas de questions sur mes tableaux, je suis incapable de vous répondre parce que ce n’est pas moi qui fais le tableau, mais avec la force du délire créatif, le tableau nait comme je le veux. Pour être clair c’est un mystère!! Ce n’est pas la production qui m’intéresse mais le procédé créateur. J’aime les traces, les signes, les graffitis, tout ce qui témoigne de façon spontanée le passage de l’homme sur la terre, parce qu’ils incarnent la légèreté de l’infini».
Je gribouillais déjà toute petite, je coloriais, faisais des découpages, je me suis toujours réfugiée dans ma solitude avec le réconfort du dessin, que je mettais, à peine terminé, dans la corbeille à papier. Pendre pour moi c’était comme retrouver le centre chaud et confortable de moi-même. Quand j’avais environ trente ans j’ai pris un pinceau avec des couleurs à l’huile pour la première fois, j’ai peint un coq très maladroit et qui a mis des mois à sécher. Depuis j’ai refusé les pinceaux et les couleurs à l’huile jusqu’au jour où j’ai connu des sticks à l’huile compacts. Le hasard m’existe pas. J’ai découvert que les nouveaux sticks à l’huile séchaient trop rapidement. J’ai employé mes mains comme pinceaux et je n’ai plus arrêté de peindre. Je crois avoir fait plus de 2000 tableaux et 1000 dessins.
SANS LA PEINTURE JE N’Y SERAIS PAS ARRIVEE. Ma vie a ete trop dure.
La veine créatrice se révèle plus tard, à l’âge où on refuse les influences et quand on n’a plus rien à perdre. Le refusé culturel fait un retour explosif.
C’est sur la façon de réfléchir sur les expériences (et non sur ses propres expériences) que se trouve le progrès de l’individu. J’ai ressenti un besoin vital, un besoin de me défouler physiquement et nerveusement contre les angoisses des rapports humains et contre le monde aliéné dans lequel nous vivons. Je me sentais inadaptée et la peinture m’a redonné une vraie dimension.
Le livre de Kay Jamison Redfield que j’ai déjà cité avant, une psychiatre, elle-même bipolaire, nous donne d’occasion d’approfondir le sujet d’art et folie dans tous les domaines de la culture et de l’art. Les exemples d’artistes, d’écrivains, de poètes, de musiciens, d’acteurs qui ont ce trouble de l’humeur sont très nombreux et il est évident qu’il y a une comparaison à faire entre la qualité de l’œuvre et la maladie dont souffrent ces artistes.
Depuis que la loi Basaglia a fermé tous les asiles psychiatriques beaucoup de familles se sont retrouvée dans un désespoir total face à certains cas très graves de la maladie mentale alors que les maladies plus communes et presque invisibles peuvent être bien soignées avec les nouveaux médicaments pharmaceutiques.
Aujourd’hui les artistes de l’Art Brut sont dispersés dans le monde entier, ils ne sont pas hospitalisés dans des structures et paradoxalement ils sont moins visibles. Aucun collectionneur n’arrive à découvrir leurs chefs d’œuvres. Ils sont parsemés et ne sont pas reconnus. Notre époque est caractérisée par la non-communication. Malgré que nous soyons dans l’ère des communications, chaque artiste vit une grande solitude des médias, d’internet et d’autres outils de communications. La Collection de l’Art Brut s’arrête ici et ne procèdera plus à cause de la pénurie d’œuvres.