Les enfants et les primitifs
Pour des raisons d’espace, les collections de l’art brut ne conservent ni les dessins des enfants ni ceux des primitifs.
Dans le dessin spontané et privé de toute influence culturelle des enfants, nombreuses sont les réponses pertinentes et complètes sur la nature de l’art qui nous parviennent toutefois inattendues et d’une catégorie particulière de créations artistiques, réalisées dans notre époque et qui se dénomme “Art Brut” (qui signifie littéralement art original et dans le sens de source à l’état embryonnaire) parce que non contaminée par la culture artistique.
Nommé en 1945 par l’artiste et théoricien de l’art Jean Dubuffet (Le Havre 1901-1989 le terme d’Art Brut s’applique à un ensemble de productions artistiques (dessins, toiles, écritures en prose et en poésie surtout; mais aussi sculptures, assemblages, broderies, tapisseries ou architectures réalisées souvent avec les moyens du bord, objets communs ou récoltés) les auteurs desquels sont généralement peu instruits, étrangers au monde de l’art, plutôt isolés du reste de la société: principalement les malades mentaux, les médiums, les prisonniers, les solitaires marginaux de la société en général
Étant de nos jours encore exclu de l’histoire officielle de l’art, l’Art Brut de Dubuffet apparait à l’observateur comme une dimension expressive et esthétique vraiment exceptionnelle qui permet de comprendre en profondeur les lois de l’art et les éléments psychiques naturels et universels qui semblent être à la base de sa réalisation. A travers la perception des caractéristiques concernant le style profond des œuvres d’art, déclinées dans une incroyable variété de façon originale et bien définie, il est en effet possible de revoir sous un autre angle, soit les manifestations à première vue illogiques, abstraites et hautement expressives des peuples ainsi dits primitifs et des dessins enfantins qui ont inspiré les grands protagonistes de l’art contemporain, soit les lois fondamentales de la symétrie répondant à des principes esthétiques de l’harmonie et de l’eurythmie – sur lesquels se sont ancrées la construction de l’œuvre d’art léguée à la tradition classique européenne grâce à la connaissance et à la pratique des modèles.
C’est un art de pure inspiration et instinctif plutôt que de programmation et de culture. L’Art Brut révèle l’essence primaire de la création artistique au travers la loupe de sa double nature et fonction: soit comme nécessité communicative fondamentale de ses auteurs de construire ex novo un langage idéographique de signe et de formes adaptées à réaliser un pont entre soi, les autres et le monde, soit come expression supérieure, poétique et musicale, de mots et de sons au contenu affectif et émotif.
Mais l’aspect le plus intéressant des études des trois psychiatres Morgenthaler, Lombroso et Prinzhorn est le lien qu’ils établissent entre les expressions artistiques qu’ils ont examinées avec celles des peuples dits primitifs et les dessins enfantins, et par ceci avec l’art visuel en général. Un tel lien concerne la correspondance entre la répétition, la disposition symétrique, la structure géométrique des divers moyens d’expression: sujet, formes géométriques, phrases et mots – présents surtout dans les dessins et les toiles des malades mentaux avec la trame géométrique essentielle qui se cache derrière l’oeuvre d’art de tous les temps et de tous les lieux. La trame est dictée essentiellement par le rythme.
Certainement en accord avec la théorie de l’évolution de Darwin déjà appliquée par l’anthropologie et la psychologie expérimentale et contemporaine, les apports fondamentaux à l’esthétique de ce phénomène auront une grande influence sur l’oeuvre des artistes comme Klee, Breton, à tel point que les livres de Prinzhorn en particulier deviendront dans les années vingt et trente les livres préférés des Surréalistes qui à leur tour seront mis en valeur par Dubuffet.
Contrairement à ces psychiatres, les artistes français ne reconnaissent pas les oeuvres des malades mentaux, des medium et des prisonniers, comme de
« l’art authentique”, ils refusent de façon provocatrice toute tentative de comparer ces productions à l’art en général, pour les mettre en opposition plutôt à tout l’art du passé et du présent .
Le dénominateur commun de ces œuvres orphelines devient alors la notion d’Art Brut : un art qui ignore son nom. Dubuffet en 1948 établit les conditions fondamentales dans les texte “L’Art Brut préféré aux arts culturels”. Même s’il ne définit pas cette forme d’art de façon précise, l’artiste français recueille avec profonde intelligence et sensibilité les caractéristiques expressives principales grâce à l’examen des œuvres qu’il avait collectionnées en grand nombre et dont il décrit l’originalité des formes et des contenus dans ses “cahiers d’art brut” et autres écrits.
C’est dans le but de préserver la notion d’Art Brut et de bouleverser en même temps le système de l’art homologué, qu’il donne en 1976 sa collection à la Municipalité de Lausanne après ces échecs dans les institutions parisiennes. Conservées dans un musée construit ad hoc, la collection de l’Art Brut, les oeuvres récoltées par Dubuffet ont été souvent le lieu après sa mort en 1985, de nombreuses expositions en Europe et dans les États Unis, créant un intérêt croissant soit dans le grand public soit dans le monde de l’art.
Mais quelle est l’origine profonde des principales oeuvres de l’Art Brut et quelles richesses nous apportent- elles ?